yo,

Au sud d’Ushuaia se trouve l’immense île de Navarino, celle-ci appartenant au Chili. Et t’as un bled sur cet île qui s’appelle Puerto Williams. Les chiliens considèrent que c’est la ville la plus australe du monde mais que neni côté argentin, pour eux ça reste Ushuaia car Puerto Williams n’a pas 10000 habitants. Voilà c’était la minute géographique.

Au départ de  Puerto Williams tu as le trek le plus austral du monde et là tout le monde est d’accord. Le trek s’appelle dientes de Navarino qui se traduit par ‘dents du navarin d’agneau’. Ouai, après 6 mois en Amérique du Sud, l’espagnol est comme ta seconde langue maternelle. Et c’est vrai, c’est bizarre comme nom surtout que t’as pas vu le moindre mouton.

Traversée en bateau pour rejoindre l’île. On est 7 touristes, tout le monde y va pour le trek. Tu attendais à trouver un bled perdu mais non, déjà, y a plein de bagnoles. Mais où ils vont avec leur bagnole, il y a qu’une route (qui s’appelle la route de la fin du monde). OK, le bled est étalé mais quand même. Alors c’est pas touristique comme à Ushuaia avec les dizaines de boutiques à touristes. T’as pas vu s’il y avait une église avec une place mais en tout cas il y a un grand sapin de Noël. Ils doivent s’enmerder un peu car les rues sont décorés avec des ‘drapeaux’ faits en tricot. Il doit certainement y avoir un concours annuel. Adnana, tu veux que je me renseigne sur la date? Pendant que tu tricotes un étui pénien pour wiki franky, il pourra fièrement dire qu’il n’y a pas de pingouins (quelque soit le couleur) dans l’hémisphère sud mais des manchots !!!

Direction le poste de police pour se faire enregistrer et remplir une fiche ‘expédition’. Ah ouais, ça rigole pas. Tu dois détailler jour par jour où tu vas dormir, combien de jours, quel matériel de trek tu as. Tu peux même louer une radio pour être en contact avec eux. Hé les gars, le trek c’est 3 jours pour les rapides, 5 pour les plus peinards. C’est pas une expédition.  Si 3 jours après ta date de retour supposée, t’es pas revenu, ils lancent les secours. Le policier t’explique qu’il y a un mois, ils sont partis en montagne car 2 personnes n’étaient pas revenus. Euh, ça serait pas un couple de Bernay dont un portait des mocassins à gland et un bâton de majorette ?

Il t’explique aussi que sur la moitié du chemin n’y a presque pas d’indicateurs. Sinon faut suivre les marques peintes rouges et blanches. Et mon gars, plutôt de buller au chaud au bureau, tu prends tes 2 pots de peinture, ton pinceau et tu vas aller marquer tout le chemin. Ça évitera que des pimpims se perdent. T’as rempli le questionnaire en mettant n’importe quoi. Ben ouais, tu sais pas à l’avance où tu vas t’arrêter. T’as dit que tu revenais dans 6 jours, t’as détaillé ton trek sur 4 jours et tu penses le faire en 3…nickel. Le flic, qui a du regretter de ne pas être pris au casting de la miss météo de canal+, te dit qu’il va faire une semaine de pluie mais pas trop froid.

T’as discuté avec un couple allemand qui en revenait, ils ont pris cher, grêle, neige, de la boue jusqu’au genou…jusqu’au genou, bien sûr, espèce de charlots.

T’as un autre couple qui lui part en même temps que toi, ils ont jamais fait de trek de plus d’une journée. Ils ont pas choisi le plus simple pour commencer.

T’as une canadienne, guide de trek, de kayak, hyper sportive, elle part avec un sac qui doit peser 1/3 du tien. Elle a fait bip bip. Tu t’es pris un rhume, t’es resté con comme le coyote et tu l’as jamais revu sur le chemin.

Allez, c’est parti pour 11 bornes. La marche commence tranquillement à flanc de colline dans la forêt. Ok, y a un peu de boue mais faut pas déconner. Ils devaient être de Marseille les 2 allemands, jusqu’au genou, pfff

Et en plus grand soleil. Si on peut plus faire confiance à la police.

Puis t’arrives au point de vue sur Puerto Williams et le canal de Beagle. De là, le chemin part sur un plateau de rocailles parsemé de plaques de neige et histoire de ne pas faire mentir la police, le ciel devient gris en quelques minutes. Ah, enfin la pluie et du vent. Et oui, fini le binôme t-shirt /short. Puis tu te retrouves à marcher à flanc de montagne sur un chemin large de 30 cm. Au moindre faux pas tu déboules de 50m plus bas. Ah ouais, ça rigole plus. En termes de complexité de marche on est très très loin du W où même du O.

T’arrives, chaussures trempées (ouais, même le dessous de la semelle est déchirée donc tu peux plus critiquer Lowa) au lac del salto. 3 tentes sont installées. Les places avec les protections du vent sont prises et en plus le terrain paraît bien boueux. Les allemands marseillais t’avais dit qu’un autre camp plus abrité était 500m plus haut. Il est à peine 18h, au pire si l’autre camp est pourrave tu feras demi tour. Ahah, sauf que les 500m se font en partie dans un torrent et une cascade. T’as déjà les pieds trempés mais imagine les autres qui demain matin vont démarrer et se taper la cascade.

Alors le camps, ce sont juste des monticules de pierres pour protéger la tente du vent. T’es tout seul, t’auras pas un joueur de flûte pour t’enmerder ce soir.

Jour 2. Un peu frisquet la nuit.

Le temps est moyen, c’est parti pour rejoindre le col Australia puis de los dientes. Un cauchemar, jamais vécu ça. Déjà tu ne fais que marcher sur de la grosse rocaille. Ensuite un vent violent s’est levé. Alors violent, c’est pas du marseillais. Plusieurs fois il t’a fait tomber et tu t’es ouvert au niveau des tibias (ouais, t’es con mais t’es en short). Des rafales de vent te poussent dans tous les sens, donc impossible d’anticiper. T’as même dû poser un genou à terre, baisser la tête et planter les 2 bâtons en attendant que ça se calme. Et quand t’es dans cette position, tu te demandes ce que t’es venu foutre ici ! Plus de 2h de cauchemar. Le seul truc positif c’est qu’il n’a pas plut en même temps. Dans ce cas, tu faisais demi tour. Ouais, car tu marches pas sur un sentier à plat, t’es en déséquilibre tout le temps, t’es parfois à flanc de montagne avec en dessous des rochers voir même un lac en train de dégeler donc l’erreur est pas permise. T’es seul, la moindre erreur et t’es pas dans la merde.

Tu vois tes chaussettes s’envoler. Hein kesako ? Ta protection pluie s’est enlevé à cause des rafales de vent et tout ce que t’avais posé entre la protection et le sac s’envole. La doudoune s’envole. La doudouuuune… Madre de Dios, la doudouuuuune. Sans elle, t’es bon pour faire demi tour. Mais alors très gros coup de pot, elle s’accroche à un rocher.

Entre 2 rafales t’as essayé de faire quelques photos.

Et vous savez c’est quoi le plus compliqué ? Comment pisser avec tout ce vent sans s’en foutre partout voir même juste sur les pompes. Comment ? Un miracle.

Si c’est toute la journée comme ça, tu vas pleurer dans ta tente ce soir.

Finalement, t’es sorti de cette vallée infernale.

T’arrives à un nouveau col et tu vois un semblant de chemin qui descend verticalement dans un pierrier. En face, en bas, une vallée avec des dizaines de petits lacs, des forêts. Superbe. Ça te fait oublier les 2h précédentes.

Tu t’embarques dans la descente et arrivé en bas plus de cairns ou de marques de peinture pour t’indiquer le chemin. Tu regardes sur ta carte, tu t’es planté, fallait pas descendre dans le pierrier. Oh putain, va le remonter avec 20kg sur le dos. Comme si t’en avais pas assez bavé.

Nouvelle galère, la boue. Ouais, en fait, c’est simple, ici t’as 4 types de terrain, de la grosse rocaille casse cheville, de la neige, des torrents à traverser et de la boue mais beaucoup de boue. Le petit sentier en terre sympathique, ça n’existe pas ici.

Tu peux jamais marcher tranquillement en regardant les paysages, t’es obligé de regarder tes pieds pour éviter les catastrophes. Donc vraiment pas le trek détente.

Alors, de la boue mais sans fin. A se demander si un jour dans l’année il y a un terrain sec ici.

T’arrives au lac Martillo vers 14h30. Il pleut, les rares endroits pour installer ta tente sont trempés, toi aussi t’es trempé. Qu’est ce que tu vas foutre ici jusqu’à la nuit, vaut mieux continuer. Tu rattrapes un couple, t’as même pas la force de siffloter, genre facile pour moi. T’as mis 6h pour faire 14 bornes, un cauchemar. T’as décidé de pousser plus loin au lac de guanaco à 9 bornes. Entre la boue et les erreurs de chemin, tu commences à en avoir ras le bol.

Finalement le soleil réapparaît subitement et croyez moi, ça fait du bien. Tu marches entre les lacs où parfois des castors ont construit des barrages.

Il faut rejoindre le col Virginia. Ça commence par une montée dans la forêt mais le chemin très pentue n’est fait que de boue. Ouais, tu te remets sur la boue mais c’est une vraie plaie. Même avec les bâtons, tu galères. C’est sans fin. Cauchemar, oui, ce mot revient régulièrement. Quand t’arrives enfin à sortir de ce bourbier, tu te retournes et le paysage te fait quand même lâcher des ‘oh putain, c’est beau’. Non ?

T’aurais du faire pareil sous la pluie, tu te pendais ou plutôt tu te noyais dans une marre de boue.

Tu commences à être sérieusement fatigué, ça fait plus de 8h que tu marches non stop, sans oublier ton gros sac. Une fois sorti de la forêt t’arrives sur un plateau rocailleux. Misère, c’est à perte de vue. Quelques cairns indiquent la direction. La traversée est sans fin et t’es chanceux, il pleut pas et il y a pas trop de vent. T’arrives finalement à ce fameux col Virginia. En bas, mais alors vraiment en bas, tu peux voir le lac Guanaco et plus loin le canal de Beagle.

La descente est vertigineuse, environ 300m de descente quasi droite extrêmement pentue. Sans déconner, ce trek est super dangereux. Il doit y avoir un paquet de casse. T’es à plat, tous les 20m tu grignotes un truc et tu imagines quand tu vas arriver de te faire cuire des raviolis avec du thon et du parmesan. T’as plus que ça en tête. T’arrives enfin aux emplacements où tu peux mettre ta tente, t’es seul. Tu démarres le réchaud en parallèle de monter ta tente. Le ciel gronde. Tu veux ouvrir tes boîtes de thon. Mais quel con, t’en as pris sans la languette pour les ouvrir. Pas grave pour le thon, reste les raviolis et le parmesan. Ahah, c’est sans compter la météo. Un orage soudain te tombe dessus, t’as juste le temps de monter la surtente, de balancer tes affaires à l’intérieur et d’y rentrer. Un vent, de la flotte, ta petite tente est secouée dans tous les sens. Tes pâtes au parmesan ? La bonne blague…. Ça c’est transformé à ‘déguster’ des fajitas infâmes avec un fromage sans goût et des rondelles d’un truc qu’ils osent appeler saucisson.

Conclusion de cette 2ème journée, t’auras mis 10h30 de galère pour à peine 22 bornes, un cauchemar.

3ème jour, 2h du matin, t’es réveillé en sursaut. Un gros con en haut de la montagne joue avec son éventail, résultat, ta tente est secouée dans tous les sens et un air glacial te pousse à te faire tout petit dans ton sac de couchage. Pourvu que les piquets tiennent. La tempête s’est finalement arrêtée à 6h du matin. Il est temps de fermer un œil..

8h grand soleil. Reste 12 bornes pour rejoindre Puerto Williams, la civilisation.

Ce n’est que de la descente. Tu mets tes pompes trempées et c’est parti. Je crois que le mot cauchemar, je l’ai déjà utilisé, on va plutôt dire cauchemar sans fin. Il y a quasiment plus de chemin, tu sais qu’il faut juste descendre et traverser des forêts et des petites plaines et rivières.  Tout le monde t’avait dit que c’était boueux. Euh, la veille, c’était quoi, un terrain légèrement humide ? Alors, en fait, les plaines ce sont des quasi marécages.

On t’a expliqué que le côté marécageux serait dû aux castors. Il y a un paquet d’année, ils ont importé des 25 couples de castors du Canada, pour je ne sais quel raison. Finalement il les ont libérés, et ils sont maintenant plusieurs dizaines de milliers. Et vas y que je te construit du barrage un peu partout. Résultat, l’eau déborde du lit de torrents, surtout en cette période de fonte des neiges et tout est marécageux. Si t’en choppes un, il va finir en paire de gants.

Enfoiré de castors, t’as foutu ton pied dans la boue jusqu’à la cheville, pas jusqu’au genou, t’es pas un baltringue quand même!

L’avantage d’avoir les pieds dans cet état et que t’en as plus rien à foutre des rivières, tu les traverses peinard. De l’eau jusqu’aux chevilles, bah, c’est pas grave, ça lavera tes pompes. L’eau est glacial, c’est pas grave, t’es plus à ça près. Tu te fais un chemin à travers des épineux qui te déchirent les chevilles (ouais, on change pas une équipe qui gagne, t-shirt et short). Tu glisses dans une pente, ton short se déchire de 10 cm à l’entre jambe, pas grave. Ta seule idée, arriver à rejoindre la piste en bord de mer mais t’as l’impression de jamais t’en rapprocher.

Tu glisses sur un tronc, ton genou vrille, t’es couché au sol, le sac à dos a amorti le choc. T’es resté 1 minute sans bouger en espérant que le genou n’ai rien. Car déjà qu’il y a pas grand monde mais en plus t’es pas sur le sentier, y en a pas, chacun passe où il peut. La moindre entorse et ça sera une vrai galère. Finalement tu repars, et là c’est l’erreur. Une petite zone d’herbe. Tu t’y engages et bingo, t’es passé baltringue, ta jambe s’enfonce dans la boue jusqu’au genou, tu pars en avant plantant ton autre genou dans la boue ainsi que les 2 mains. Non, là t’as pas fait de photos tellement t’en as marre. Tu pourrais continuer à décrire toutes ses péripéties. Disons que finalement t’es arrivé à sortir de cette foutu forêt marécageuse. Et vous savez quoi, en plus il fait plus ou moins soleil, t’imagines même pas sous des trombes de flotte. Tu retrouves enfin un bout de chemin pour traverser une dernière forêt. T’as perdu le chemin 10 fois. Bon, finalement t’es arrivé à la piste, les pieds trempés, boueux, le short déchiré mais entier sans trop de casse. Reste 6 bornes de piste pour rejoindre Puerto Williams. Tu regardes derrière toi, la vallée d’où tu viens est train de se couvrir de nuages pluvieux et ils viennent aussi vers toi. C’est la course pour arriver au village avant de prendre une rincée.

Et qui tu croises qui sur la piste ? La canadienne en VTT. Elle a fait le trek en 2 jours et histoire de se dégourdir les jambes, elle part faire une ballade en vélo. C’est combien d’années de prison pour agression avec un bâton de marche ?

T’as repensé au couple qui partait pour la première fois en trek ‘longue durée’. Celui des deux qui a eu l’idée doit être en train de se faire pourrir voir même une demande de divorce.

Voilà, c’était le trek le plus austral du monde où finalement t’as eu plutôt de la chance côté météo.

Pour les purs et durs, tu peux partir à l’aventure rejoindre des régions et des lacs où il n’y a pas le moindre chemin, le tout au GPS, c’est ce que fait le patron de ta guesthouse.

Le soir, tu te pointes à un des rares restos, histoire de manger un bon poisson. T’es en terre australe, les mecs vivent de la pêche ici. Vous le croirez ou pas, le poisson arrive congelé d’une partie plus au nord du Chili…ça casse un peu l’image qu’on peut se faire du bout du monde. Explication par un local : Ici, les pêcheurs ont en rien à foutre du poisson, ce qui fait leur fortune est la pêche du crabe.

Noël au club nautique d’Ushuaïa et ensuite byebye Amérique du Sud, direction un continent plus au sud.

Ricardo fin del mundo