Yo,
Changement total d’environnement. T’es en train de conduire dans la région du Pantanal au Mato grosso au Brésil. Mato grosso, rien que le nom fait bout du monde. Faut imaginer 32° à 10h du matin, une humidité collante et un paysage plat et vert. Fini le monde minéral.
Ça fait 2h que tu roules et t’es un poil énervé d’être aussi con. T’as dormi à Poconé, dernière petite ville avant de t’embarquer sur 150 km de piste direction Porto Jofre. Aucune station essence là bas, tu dois être totalement autonome. T’as même acheté 6 litres de flotte au cas où. Tu suis gentiment la piste indiquée par ton appli GPS. La piste est couleur orange et tu longes de longues savanes/prairies où paissent des vaches. Tu croises quelques cowboys étonnés de te voir passer. Ben quoi ? Porto Jofre est touristique, il devrait pas être surpris. Au bout de 45 minutes, la piste en terre se transforme en piste de sable. Mais même pas en rêve tu t’y engages sinon t’es sûr d’y laisser la caisse. Comprends pas, en principe toutes les bagnoles peuvent passer. C’est quoi ce merdier ? Tu regardes en détail la carte de ton appli. Ce con de GPS te fait passer par un détour sur des pistes perdues. Vénère, t’as fait demi tour en te traitant de tous les noms. Les cowboys t’ont vu repasser, t’es revenu en ville, t’as refait le plein au cas où…et t’as réalisé que la bonne piste passait juste devant ton hôtel de la veille.
Donc voilà, t’es à nouveau sur une piste, la tranpanthaneira. Tu roules au milieu de grandes plaines marécageuses. C’est clairement plat et répétitif. T’as pas mis la clim pour économiser l’essence, on sait jamais.
A un pont, tu vois une bagnole arrêtée. Y a pas des dizaines de bagnoles qui passent donc tu t’arrêtes. Un point d’eau en dessous du pont et de chaque côté des rives des dizaines de futurs sacs à main, du Vuitton, du Hermes… Sur la photo, ils semblent petits mais de près ils tapent bien dans les 2m. Tu pourrais, ou pas, descendre sur la rive. Le plus étonnant est qu’à 30m d’eux t’as un capybara (une bestiole locale qui ressemble à un gros ragondin) qui se nourrit, il passe à qqs mètres d’un caïman sans problème. Ils sont végétariens les caïmans ici?
Ça doit bien faire 1h que tu roules quand t’as un gros bruit à chaque cahot sous la bagnole. T’es autant mécanicien qu’astronaute. T’as hésité à faire demi tour mais bon, inchallah samba. Au bout d’1h le bruit disparaît, va comprendre .
Ensuite c’est la phase petits ponts et de bois. Comme t’as du marécage partout, ils ont construit plein de ponts en bois plus ou moins solides pour les traverser. Entre les clous qui dépassent, les planches qui manquent, t’as croisé les doigts. Surtout t’en as tous les kilomètres.
Alors Porto Jofre, en fait il y a rien. T’as 3 lodges un peu perdu, c’est tout. T’as réservé le moins cher qu’on peut pas appeler lodge. La plupart des gens sont en tour organisé, t’es quasiment le seul charlot à t’être pointé comme une fleur.
Premier coup de chance, t’as trouvé un bateau avec 3 allemands qui part faire un tour dans 30 minutes. Ouais , ici, tu viens pour voir des…jaguars. Les mêmes que ceux à Piada-Piada où t’avais tiré la queue d’un…
Les allemands font une sortie matin et après midi depuis 3 jours. Ils ont en jamais vu le matin. Le principe, tu remontes le fleuve Cuiabá en croisant les doigts pour qu’au bon moment un jaguar sorte de la jungle. Si le bateau passe 10 secondes trop tôt, que dal. T’es assez peu optimiste car généralement t’es poissard sur ce genre d’activité. Ça sent le jaguar en RTT ou à une manif pro végan. Tu restes 2 nuits pour multiplier tes chances. Au pire, si t’en vois pas ici, y en a à chaque coin de rue à Monaco.
Le pilote du bateau t’a dit, on y va pour voir des jaguars, rien à taper du reste.
Ça fait pas 20 minutes qu’on longe les rives que, incroyable, vla un gros chat qui se pointe sur une rive. Et en plus t’as seulement un autre bateau. La veille les allemands étaient au milieu d’une vingtaine de bateaux, le cauchemar. Alors la bestiole se la pète un peu. Elle jette un œil au bateau puis plus rien à foutre. Et vas y qu’elle marche en roulant des mécaniques. Ça sent le muscle sous la peau. C’est sûr que contrairement à toi, elle n’est pas au régime charcuterie-fromage-alcool. Elle marche tranquillement, genre regardez le physique, pas un pouce de gras. Sauf qu’il lui manque l’extrémité de sa queue. A sa place, tu la ramènerais moins.
Du bateau, on doit être à 20m du chaton. Toi, t’es avec ton petit numérique et un des allemands avec un objectif long comme ton avant bras. Quand tu fais une photo, t’entends 10 clics côté Angela. Pas sûr qu’il ait regardé directement le chat.
La rive est bloquée par des broussailles, pas de problème, le chat se met à l’eau pour remonter la rivière. Ouais, y a quand même du muscle pour nager à contre courant. Puis il ressort de l’eau et continue à marcher nonchalamment. Il y aurait un vélo, il nous aurait fait un triathlon, le prétentieux. Entre temps 3 autres bateaux ont rappliqué. Ça doit bien faire 10 minutes qu’on le suit.

Puis il disparaît dans l’eau au milieu d’arbres et de buissons. On se dit qu’il a disparu dans la jungle. 5 minutes plus tard il réapparaît de sous les arbres avec un gros truc blanc dans la gueule, un gros poisson?

Non, la vache, ça doit être un jaguar femelle car il a choppé un sac à main de 2m de long. Le blanc, c’est le ventre du caïman. Sur la petite vidéo, tu le vois rependre son souffle, le combat à dû être sportif. Au fait le bougre, il sait que c’est interdit de chasser le caïman ici? C’est un parc national ! Du grand n’importe quoi ! Il a du réaliser qu’il s’est fait photographier en plein braconnage car il a disparu avec son dej dans la jungle. A ce moment, sur d’autres bateaux t’as des gens qui ont applaudi. Hein? Pourquoi? Ils espèrent quoi ? Un rappel ? Que le chat va revenir pour saluer et signer des autographes. Sans déconner!

 

‘as eu quand même une sacré coup de chance pour le jaguar. Y en a qui ont passé 2 jours avant d’en voir le bout d’un.
On continue à remonter le fleuve. Alors, les martins pêcheurs, les hérons, on s’arrête pas. Le pilote a dit focus uniquement jaguar. On passe devant un éléphant avec de très grandes oreilles. Même pas un arrêt photo. Ce sont les  seuls éléphants d’Amérique du sud. Leur nom scientifique, le dumbus gabrielus. ils arrivent à décoller du sol de 10 cm en secouant leurs grandes oreilles. C’est con, une photo aurait eu de la gueule, mais non, focus jaguar.
Plus le moindre matou à l’horizon.
Dans un tournant, t’as 7-8 bateau remplis de voyeurs. Y a un jaguar couché dans la jungle mais dans le feuillages et dans l’ombre. Alors là, c’est encore une autre catégorie. Sur un des bateaux, t’as des sièges qui tournent sur 360° et intègrent un trépied avec un gus qui  conseille comment prendre les photos. Tous les Hamilton en herbe ont des appareils photos monstrueux. Leur objectif fait la longueur du bras, même l’allemand sur ton bateau fait baltringue avec son appareil alors imagines toi avec ton échantillon ! Ils mitraillent sans jeter un œil en dehors de leur écran. Toi tu vois même pas le chat dans la jungle, dans la pénombre. Sur autre bateau, le guide sort même un parasol pour protéger les touristes du soleil. Il est où le bateau popcorn?
Notre pilote, plutôt que s’accrocher aux autres bateaux préfèrent accoster sur la rive opposée à 50m nous disant que si le chat bouge, on se rapprochera. Euh, déjà on voyait pas grand chose près des bateaux et en plus tu crois que si la bestiole bouge, elle va attendre tranquillement qu’on arrive ? Gentil le pilote mais pas très futefute.
On a du rester 30 minutes à voir pas grand chose, mais en tout cas côté ‘pro’, ça mitraillait à chaque mouvement d’oreilles, ah Parkinson quand tu nous tiens.
Finalement le chat se déplace de 20m à raison de 100 photos par mètre. Toi t’en as fait une presque potable, ben ouais derrière 5 bateaux avec des gus qui bougent tout le temps, c’est dur de pas choper sur la photo un baltringue déguisé en broussard. La tenue obligatoire, pantalon long et chemise manches longues, chaussures de trek (ouais, t’es sur un bateau, c’est important les grosses chaussures), le chapeau de brousse et des rigoles de transpiration partout. Ils connaissent pas les t-shirt, sandales et bermudas ?
On ne verra plus de chat mais pas grave, t’as eu un gros coup de pot dès la première sortie. Maintenant vu le trou où tu es, va falloir trouver une occupation pour lendemain.
On est au bord d’un fleuve avec des dizaines de pêcheurs. T’es impatient de dîner d’un bon morceau de poisson. Que dal, c’est bœuf et poulet. Si tu veux du poiscaille, va falloir aller le chercher.
Donc en l’honneur du très grand pêcheur mondialement connu maestro Chapichapo, tu as organisé le lendemain une matinée pêche. T’as la liste et la taille minimum des poissons que tu peux attraper. Le plus gros est le pintado, tu l’aurais plutôt vu avec des plumes celui là mais aucune chance de le chopper, il traîne ses guêtres dans le coin en mars avril quand le niveau du fleuve est haut. En ce moment c’est bas et c’est l’époque des jaguars et de ses saloperies de taons qui pullulent et t’empalent.
Ton pilote est papy Carlos. Nous voilà parti une heure à remonter le Piquiri, un affluent du Cuiabá. Le Cuiabá, c’est pour voir les jaguars, le Piquiri pour la pêche. Sur la rive, t’as de gros bateaux luxe. En fait, la plupart des touristes dorment sur ces bateaux avant de sortir voir des jaguars ou aller pêcher.
On s’arrête à un spot où il y a une dizaine de barques avec des touristes pêcheurs. Ton appât fait 20 cm, ça donne une idée de ce que tu peux attraper. Tu regardes les autres bateaux, ça mord pas beaucoup. Ça fait pas 10 minutes que t’as une touche, une très grosse touche. La bestiole a pas l’air contente. Ta cane à pêche est quasiment courbée en 2. Tu ramènes lentement moby dick qui se débat. Puis, t’as l’impression qu’il se fixe au fond en dessous du bateau et refuse de bouger. Hein? C’est quoi ce poisson qui reste immobile. Le seul que tu connais qui se pose au fond, c’est la sole. Ça serait étonnement d’en trouver une ici et en plus une maousse. C’est une grosse pierre que t’as accroché ? Mais non ça c’est débattu. Carlos prend le fil pour essayer de tirer. Finalement ça remonte lentement. La vache, c’est pas un poisson. T’as attrapé une raie. Là, on rigole plus. Selon Carlos si la bestiole te plante avec l’aiguillon de sa queue, c’est direction l’hôpital qui est juste à plus de 3h de piste. Pas de risques, il coupe le fil. Désolé pour la raie.
Plus aucune touche et le soleil cogne dure. On change de coin, 2 minutes plus tard une touche. Ça se bagarre mais c’est moins costaud que la raie. C’est un Tuconare, il est même pas sur la liste. Au moins t’auras du poisson pour le dîner. Puis plus rien. Une seule fois tu t’es fait dépouillé, certainement par le poisson le moins con du fleuve, le piranha. Il bouffe tout l’appât sauf la tête où il y a l’hameçon, le bougre. 2h en plein cagnard, pas une touche. Mais l’honneur est sauf. Un grand merci à maestro Chapichapo qui t’a presque tout appris sur la pêche. Il a oublié de te dire de venir avec une glacière et des bières fraîches pour passer les longues heures où rien ne se passe.
Lors d’un arrêt, le bateau est collé à une rive où tu peux voir des empreintes de jaguar sur le sable. Forcément tu vas voir et tu commences à suivre les traces sur le sable. Tsstsss. T’as rien compris à ce que t’as dit papy Carlos en brésilien à part qu’il faut pas s’écarter du bateau, un chat pourrait être planqué et attendre. C’est comme avec les raies, on déconne pas avec les chats. Ouais, ben s’il te bouffe, il va avoir un sacré problème de cholestérol le chaton.
L’après midi, tu repars avec papy Carlos voir des jaguars. Il est très fier de t’expliquer que la dernière fois qu’il a amené des français il a vu 3 jaguars et 1 anaconda. Waouh ! T’es avec une pointure ! Première arrêt, l’endroit des anacondas. Alors tu devrais plutôt dire des a-pas-conda mais bon peut-être en revenant. On remonte plusieurs affluents du fleuve Cuiabá où la couleur du fleuve est différente, ça va du marron au noir. Ouais faut pas espérer ici une eau transparente.
Au moins avec lui tu t’arrêtes pour voir d’autres bestiaux. Alors de la loutre, du capybara, du piaf avec bébé piaf, ça t’en as vu. Pour résumé, t’as passé 4h sur le bateau, t’as pas la vue la moindre tâche d’un jaguar et les autres bateaux non plus. Après, t’as compris que l’histoire avec les 3 jaguars c’était le jour où le cirque Pinder était venu ici avec ses numéros de félins, pas simple de comprendre le brésilien !
Donc si vous pensez venir, notez que le mardi est une journée sans chat. Tu te répètes mais t’as eu un sacré coup de pot la veille.

Ricardo jaguar