Yo,

Donc gros doute sur le guide qui t’a fait acheté une bouteille d’alcool.

En tout cas le guide, Chris, est à l’heure, à 5h45 du matin comme prévu et sans les yeux rouges. Il porte la plupart du matos. Ouais 6h ça fait tôt surtout qu’on va s’arrêter au camp 3 pour tenter l’ascension que le lendemain.

Le départ est plutôt tranquille, puis on rentre dans la forêt, très dense. Pendant près de trois heures on verra pas le soleil. Puis ça commence à monter, la végétation commence a changer, beaucoup de fougères.. On marche de plus en plus sur des des racines, ce qui permet de chauffer les chevilles.. Puis ça commence à monter vraiment, en partie de la boue et des rochers.

Juste un rappel sur le planning prévu car ça a son importance. En principe l’ascension se fait en 3 jours :

Jour 1 : montée au camp 3 en 6h

Jour 2 : 6h pour rejoindre le sommet et 6h pour revenir au camp 3

Jour 3 : retour en ville en 5-6h
Toi, tu lui as dit que tu voulais regrouper les jours 2 et 3, ça veut dire que toute la redescente ça se faire de nuit à la frontale. Chris pense qu’on sera revenu pour 22h. Oh putain… Et plus, tu vois le terrain dégueulasse pour rejoindre le camp 3 plus tu te dis qu’à la descente, de nuit, ça va être un cauchemar…

Bon, on continue à monter. A chaque fois que le guide te demande si tu veux une pause, tu lui dis que c’est pas nécessaire. Donc on trace vraiment. En cours de route, on croise un groupe de philippins qui redescend. Leurs guides et porteurs sont en flip-flop. Eux ont fait la traversée complète mais pour ton guide c’est un truc de charlot car la vrai difficulté, la vraie partie dangereuse, c’est dans le sens où on va la faire nous, dans l’autre sens ça vaut que dal. A l’écouter, tu le payes et c’est même pas sûr qu’il veuille le faire. Faut savoir que son père a été un de premiers guides sur cette montagne et qu’un des monts porte son nom.

En parlant de nom, le nom du sommet Guiting-Guiting veut dire ‘dents’ car il y a pleins de montagnes en forme de dents autour..

Faut savoir que quand des philippins se rencontrent, ça discute longtemps… Bon finalement, on repart. Ca monte encore plus fort et tu penses déjà à tes genoux pour la descente.

On arrive finalement au camp 3 à 12h soit 1200m de dénivelé positif. Bon, ben, une fois que t’as mangé, monter ta tente et fait le plein de flotte à la source, reste plus grand chose à faire à part un roupillon. La journée va être longue.

Tiens un autre groupe de philippins redescend aussi et a aussi fait la traversée. Plusieurs filles, super sportives, équipement high tech et toujours les porteurs en tongs. Hier, certains du groupe ont mis 11h et sont arrivés à la nuit à leur campement. Et dire qu’ils l’ont fait dans le sens charlot, ça promet.

Bon ben tu bulles quand tu entends du bruit dans les fourrés. Chris te dit qu’il y a des chats sauvages mais on ne les verra qu’à la nuit tombée, ça doit juste être un rat. Super. Le fourré bouge de plus en plus, et si c’est un rat qui sort du fourré c’est qu’il est né à TChernobyl et qu’en plus il a fait un stage à Fukushima..

Et c’est bien un chat sauvage. Alors chat, c’est pas vraiment adapté comme terme. Il fait bien 3 fois la taille d’un chat, un museau super allongé et un pelage à la fois tacheté et rayé. T’en ferais bien des pantoufles. La bestiole cherche de la bouffe et tant que tu bouges pas, tu peux parler, ça l’inquiète pas. Par contre tu fais un mouvement et hop dans les fourrés. T’as mis les os de poulet devant toi et t’attends et t’inquiètes qu’elle est venue. Parfois elle te grogne dessus mais si tu lui fais ‘bouh’ elle va détaler. Le guide est super étonné, c’est la première fois de sa vie qu’il en voit un en plein jour.

17h30, c’est l’heure de dîner… Tu mélanges ta boîte de thon avec tes pâtes, Chris te regarde comme un extra terrestre, c’est la première fois qu’il voit ça… Venant de la part d’un gars qui verse son bol de café dans son riz..

Il a sorti une bouteille de 30 cl de brandy. Tu demandes pas où sont passés les 70 cl achetés la veille… Mais il a aussi apporté du poisson mariné et fumé qu’il a fait lui même. Comme quoi la première impression négative est fausse car il est assez au petit soin.

Demain, il veut partir vers 3h du matin puis 5h, il change d’avis tout le temps. En tout cas à 19h tout le monde est couché…  Finalement on partira qu’à 5h30 pour atteindre le pic Mayo et voir le lever du soleil. La dernière partie de la montée te laisse entrevoir ce que tu vas endurer : grimper à 4 pattes sur les rochers. La vue est super dégagée, tu peux voir les îles environnantes comme Romblon, Tablas et même le cône parfait du volcan Mayo que tu voulais escalader il y a qqs jours.

Bon, maintenant on arrête les galéjades, on va taper dans le dur.  En théorie 6h pour aller au sommet du pic Guiting Guiting. Une moitié tu marches sur le long des crêtes (ça c’est la partie finger in the noise), l’autre partie, tu grimpes sur des rochers. Le plus impressionnant, c’est la vue. Tout est vert, sauf cette tranchée ocre qui traverse les taillis. Oui, la terre est très boueuse donc t’en as plein les pompes et ensuite la boue marque les rochers. Et c’est super sympa de marcher dans la boue puis ensuite sur les rochers avec des pompes glissantes. Sur une très grande partie  du chemin, tu dois utiliser tes mains sinon jamais tu montes. La végétation change, plus d’arbres, plutôt des sortes de broussailles qui t’empêche de voir les pentes vertigineuses près desquelles tu marches.

Premier passage difficile, the wall. Une paroi verticale qu’il faut traverser sans se vautrer sinon tu finis 10m plus bas sur les rochers. Puis ça monte, ça monte et tu dis que la descente va être cauchemardesque. Comme on va revenir par le même chemin, tu laisses des bouteilles de flotte en cours de route. Chris n’avait jamais pensé à ça du coup ça lui changé la vie. On arrive enfin à un endroit qui s’appelle le pic de la déception. En fait, d’en bas tu crois que c’est le sommet et quand tu y arrives tu vois qu’il reste encore un bon bout à monter. Ils ont de l’humour les philippins…

Chris voudrait qu’on arrive au sommet avant 9h30.  Toi, tu t’en fous des horaires, tu regardes surtout que les nuages sont en train de se pointer et tu voudrais être au sommet avant eux. Chris te dit qu’il reste plus qu’un passage difficile qui s’appelle le 90°. Hein ? Le quoi ? Par ce que les 2h qu’on vient de se taper avant, c’était quoi ? Un faut plat ? Et le wall c’était quoi? Une piste roulante ?

Bon, arrivé au pied du fameux passage 90°. Dixit le guide, certains viennent jusque là et font ensuite un refus d’obstacles. Tu m’étonnes, ce coup ci la paroi verticale, faut pas la traverser, faut la monter et surtout plus tard la redescendre. Et transporter une corde, ça aurait pas été une bonne idée?  Ce qui te sauve, c’est ton physique d’araignée, grands bras et grands jambes. Mais quand tu penses au philippins que t’as croisés et qui sont redescendus par là alors que certains sont de la famille de passe-partout, tu dis respect.

On arrive finalement au sommet à 9h10 avant le temps estimé par Chris. Il est tout content car avant c’était son frère qui avait le record de rapidité avec un touriste en 3h 30 et là on a mis 2h50. Mouais, 2h50 pour disons 1000m de dénivelé positif et 200 de négatif, y a pas quoi la ramener. Mais quand tu considères que t’as fait presque la moitié à 4 pattes..

Avec certains groupes il arrive juste pour midi soit 6h de marche et il y a une règle qui oblige à repartir avant 13h pour espérer être revenu au camps 3 juste à la nuit.

Très belle vue et en plus avec le soleil. Sur les 10 dernières fois où il est venu il a jamais eu un tel soleil. Pour une fois que t’as de la chance côté météo. Bon, il est temps de redescendre. Autant quand tu montes tu vois pas trop le vide derrière toi, autant quand tu descends c’est plus le même game. Tu commences à sentir la fatigue. Le soleil tape de plus en plus, les rochers auxquels tu te tiens deviennent brûlants. On revient au point où on avait laisser la bouffe. Un chat sauvage à fait un trou dans le plastique et a chouré une partie du poulet. Si tu le choppes, une belle toque en fourrure…

A chaque descente de rochers, ton genou gauche te rappelle qu’il en a déjà bavé il y a quelques mois et qu’il faudrait arrêter les conneries. Le genou droit est solidaire.

On mettra environ 3h pour revenir au camp 3. Ensuite c’est pliage de tente et rangement du camp. C’est Chris qui porte presque tout le lourd. On part vers 14h20,  Chris pense qu’il faudra 5h pour redescendre. Tu l’as collé, t’as refusé toutes les pauses à part celle pour manger du riz. On a mis 3h. T’es genoux ont décidé de mettre un gilet jaune et de refuser tout trek tant que t’auras pas au moins perdu 5kg de gras…

A peine, arrivé où le monde moderne et sa connexion téléphonique fonctionne que Chris appelait un de ses potes pour se venter du temps qu’on a mis…

Tu l’as invité au resto pour le remercier, le bougre est venue avec sa femme. Quitte à manger gratis… Il aurait dû aussi inviter ses voisins.

T’écris ce mail allongé sur ton lit. T’as les jambes en compote et les genoux qui pleurent.  Va savoir si tu pourras marcher demain. De toute façon, t’as prévu au moins 2 jours sur les plages de sable blanc de l’île de Romblon

Ricardo à genoux