Ouais, la journée a été longue…
Mardi matin, Santiago se réveille et reprend son nouveau quotidien avec la moitié de ces magasins fermés, ses queues devant les rares DAB en fonction.
En plein centre ville, tu entends des manifestants arriver. Certains magasins descendent leur store en urgence. C’est le personnel hospitalier qui manifeste calmement.
Les musées sont fermés, les petites collines/parcs au centre de la ville sont fermées, les lignes de métro te permettant de sortir de la ville facilement sont fermées. Ça laisse peu de possibilité d’activité.
Étonnement le marché central est ouvert. C’est là où tu manges le plus mauvais ceviche de tous les temps alors que t’es entouré de poissonniers. La télé montre des manifs dans plusieurs grandes villes. C’est pas prêt de se terminer cette histoire.
T’es allé faire un tour dans le quartier de Bellavista, mi bohème mi hipster. Plein de petits bars et restaurants, de maisons aux façades couvertes de graphes.
L’ambiance est détendue. Parfois, des gens, une casserole à la main, passent en direction de la manif. On doit être à 800m de la plaza Italia. On entend parfois de détonations. Le jeu du chat et de la souris a du reprendre.
C’est sympa d’être tranquillement à une terrasse. Mais le bruit des détonations t’attire irrésistiblement. Mais cette fois, fini le lapin de 6 semaines, t’es équipé. T’as un puff pour te protéger le visage et une bouteille d’eau pour te nettoyer les yeux lors d’un futur gazage. Ouais, c’est pas top mais c’est mieux que la veille. Hier, t’as failli paumer ton téléphone dans les fuites, donc il est resté à l’appartement et c’est un coup de pot.
T’es retourné côté manifestant, c’est beaucoup plus sportif. Ca s’affronte quasiment au même endroit. Les militaires ont du recevoir des consignes car ils sont beaucoup plus présents et agressifs. Les manifestants ont du mal à monter des barrières, ils avaient arraché hier toutes les grilles. Des nuls, aucune capacité à voir sur du long terme.
Au fait, le pull, c’est bien pour protéger le nez mais pour les yeux, que dal. T’as fait un remake d’un tube de Viktor Lazlo (ouais, gros référence musicale, c’est vrai, c’est pas donné à tout le monde ce tel niveau de culture). 1 heure du même jeu que la veille.
Et puis, c’est là où t’as merdé. 3 jeeps foncent dans ta direction. Tout le monde décampe fissa. Tu suis un petit groupe qui s’engage entre une grille et la façade d’un immeuble. Sauf que c’est un cul de sac. La grille fait 3m de haut et il n’y a rien pour s’aider à la franchir. Ça pue. Tu vois passer une jeep puis une deuxième plus lentement. Merde elle s’arrête. 3 militaires en sortent et nous vois. T’es avec 3 filles et un mec. Aucun n’a un look  de gros méchants. Une autre jeep s’arrête. Un militaire nous fait signe de venir fusils au poing. Une des chiliennes te dit un truc mais tu pipes rien. On lève tous les mains en l’air et on se dirige vers les militaires. Va leur expliquer que t’es un touriste qui s’est trompé de chemin. Les autres font profil bas. On est fouillé. Une a une casserole dans son sac. On attend. Dire qu’il y a 2 jours tu buvais des noix de coco sur la plage.
Un camion arrive. Oh putain, ils nous embarquent. Dans ta tête t’imagines déjà :  »allo, le consulat français? Oui, je suis français et je viens de me faire embarquer en prison par les militaires. Euh, oui, j’étais aux manifestations ». Ca c’est dans le cas où t’as le droit au joker ‘un coup de fil à un ami’.
Le camion s’arrête, on nous fait descendre dans une grande cour d’un bâtiment militaire.  Faut savoir qu’à la grande époque Pinochet, des personnes arrêtées n’ont jamais réapparu. T’as une cinquantaine de personnes divisées en 2 groupes. Ils nous font mettre avec le groupe qui semble être celui des non agressifs. On nous refouille à nouveau. S’ils voient ta marque de projectile dans le dos, ça va pas être bon pour toi, récidiviste. 3h qu’on attend. 2 gars commencent à s’énerver et invectiver les militaires. Ouais, c’est une bonne idée! Résultat, ils sont tabassés et embarqués dans un bâtiment. Plus personne ne moufte. Et c’est à ce moment que le plus mauvais ceviche s’amuse avec tes intestins. Ah, c’est pas le moment de se chier dessus.
Pour l’instant c’est le standby. 19h. Un gradé arrive et ils nous font mettre en ligne. Le premier de la ligne s’avance. Le militaire lui pose une question que tu entends pas. Le mec ne répond pas. 3 militaires le tabassent. Oh putain ! Finalement tu veux le joker coup de fils à un ami.
Autour d’un 2ème gars d’avancer, pas fier du tout. Pareil, une question. Le mec fait signe qu’il ne sait pas. Et c’est reparti pour le matraquage. Hé, Jean-Pierre Foulcaud, t’attends quoi pour appeler un ami ?
T’es 5eme dans la ligne. Le 3ème essaye de s’enfuir, il a même pas le droit à la question avant de se faire démonter. Le dernier mec avant toi est en train de pleurer et supplier. Même raclée.
C’est ton tour, tu dis ‘turisto, turisto, Francia, turisto, ambassada de Francia…’
Le gradé, surpris, souris, et te parle en français. Il te pose la question suivante : ‘qui chante pleurer des rivières ‘? Et c’est donc grâce à Viktor que t’es sorti indemne.
Ouais, pas grand chose à faire à part buller à une terrasse et à inventer des conneries en regardant la serveuse se déhancher au rythme du reggaeton.
Bientôt l’heure du couvre feu. T’es ressorti à un croisement de rue à 50m de l’entrée de ton immeuble. Ouais pas trop loin, au cas où il faut décamper rapidement. De rares voitures filent dans les rues.
 2 étudiantes taguent les murs d’un magasin. Quelques personnes dans les rues, au pied de leur immeuble, une casserole à la main, bravent le couvre feu. Des dizaines de gens à leur balcon attendent . Il est 20h, le concert de la liberté démarre.
5 militaires en moto passent sans s’arrêter. Puis c’est une jeep blindée qui arrive. Tu fais mine de retourner à ton hôtel mais elle continue.
20h30, une mamie descend au croisement avec sa casserole. On doit être une vingtaine maintenant à ce croisement.
Autant les affrontements à coup de jets de pierre c’est ‘classique’ mais se révolter avec juste la percussion d’une cuillère sur une casserole, c’est d’une telle force.
Ricardo libéré