31 décembre – Affaire à saisir, aspirateur polonais Isa.
Voila, t’es en Antarctique sur un voilier.
On se pose entre les îles Melchior, dans une baie à l’abri. Enfin une mer plate et pas le moindre bruit de moteur. On est entouré de collines de neige. A peine arrivé, ils préparent le dinghy. Toi t’es à nouveau corvée d’épluchage comme tous les 5 jours… En plus on est le 31 décembre donc pression sur la bouffe. Tu l’as joué fine, tu leurs as dit que t’étais le champion des plats au four, ah c’est con, le four du bateau ne fonctionne pas. Vraiment dommage sinon ils auraient vu ce qu’est un chef français 3 étoiles…
Le capitaine du voilier est aussi un montagnard confirmé. A peine le dinghy opérationnel, nous voilà déposés sur le rivage près d’une bande de phoques qui se prélassent sur la glace. On sort les piolets, les cordes et on part faire nos traces dans la neige fraîche. 2 groupes de 5, personne d’autre à l’horizon. Imagines prendre l’option bateau de croisière où tu descends par groupe de 50 ou 100… C’est vrai, avec cette option, t’as pas à maîtriser un économiseur pour éplucher pendant une heure…
Une petite ballade en dinghy pour voir d’autres baies et tu tombes sur un superbe 3 mats tout droit sorti d’un film de pirates. Ça doit être du très grand luxe, ce type de croisière.
20h, il est temps de retourner au voilier. A cette latitude il fait jour tout le temps.
Vous connaissez la marque d’aspirateur polonais Isa ? Ça a la carrure d’un viking et te débarrasse de tout ce qui traîne et peut se bouffer en moins de 10 secondes. Isa, son côté sportif consiste à reprendre 3 fois du plat donc crapahuter encordée où tu t’enfonces de 30 cm dans la neige, très peu pour elle. Elle est restée sur le voilier et a préparé le repas du soir. Va savoir comment elle a fait, elle nous a sorti la version polonaise du bœuf bourguignon, on aurait dit du beurre tellement la viande était fondante.
Un conseil si vous invitez 4 polonais à dîner, prévoyez comme s’ils étaient 10. Oui, ça mange beaucoup, le polonais. Et prévoyez des cacahuètes pour après le café, ouais bizarre.
Le champagne argentin ? Un petit goût de chewing-gum. Ils ont donc quand même apporté quelques bouteilles pour fêter la nouvelle année.
Bonne année à tous !
1er janvier – Chechou
C’est pas tous les jours qu’on se réveille un premier jour de l’année dans une baie en Antarctique. T’es pas de corvée, t’es tranquillement assis les pieds sous la table. L’année ne pouvait pas mieux commencer.
On remonte le dinghy et nous voilà répartis. Les nuages sont très bas et d’immenses icebergs sortent de la brume. Ça encore plus de gueule que quand il y a du soleil. Enfin, tu dis ça mais t’as pas encore eu vraiment du soleil. Le capitaine n’hésite pas à s’approcher à quelques mètres de mètres des géants glacés.
On s’arrête à une station polaire Argentine de secours. Personne n’y habite mais elle contient des provisions de secours, un dortoir et même un banc d’haltérophilie…
Alors, t’en croises de la bestiole qui bulle dans le coin, du manchot qui dérive sur son mini iceberg, de la baleine, du dauphin mais ils ont en tous rien à foutre de ta pomme.
Au fait Chapichapo, même pour un amateur qui voudrait tâter du goujon, il te faudra un permis de pêche dans l’Antarctique…n’oublies pas quand tu te pointeras ici à ta retraite.
Direction le canal de Schollaert, entouré de montagnes et falaises enneigées.
Il fait quand même super froid. Bon, c’est vrai, t’es en Antarctique sans les vêtements adéquates… C’est l’occasion de parler de la femme d’un des 2 co-propriétaires du voilier. A se demander combien elle a apporté de tenues de marin. Et que du haut de gamme. Ça se la pète côté fringue mais t’as pas encore vu sa tenue pour éplucher les patates.  Elle arrête pas d’appeler son mari ‘chechou’ et c’est chechou qui lui fait ses corvées, ah la belle vie.
On est dans un coin touristique, beaucoup de gros bateaux de croisière. Il y a environ 30 bateaux de croisières qui sillonnent le coin, et seulement 6 il y a 10 ans.

Le vent s’est levé. La traversée du canal se fait à la voile en longeant des icebergs. Seuls les pros sont à la barre et tournent toutes les 30 minutes. On se pose face à un glacier à port Lockroy avec une vue sur le mont français, 2ème sommet de la péninsule à plus de 2800m d’altitude.. Ceux qui sont de quart doivent s’assurer qu’un énorme morceau de glace ne se décroche pas du glacier et dérive vers le bateau. T’as une grande perche pour les repousser. Qui a dit que ce sont des vacances ?

2 janvier – Shopping polaire
Oula mais c’est l’embouteillage ici. Dans la ‘nuit’ deux bateaux de croisière ont débarqué. Cette baie est un des endroits les plus touristiques de l’Antarctique. Une ancienne base polaire anglaise à été transformée en musée, magasin et bureau de poste (ouais, tu peux envoyer des cartes postales de l’Antarctique. Elles partent par bateau aux îles Falkland puis par avion en UK ensuite partout dans le monde). En comparaison des masses qui débarquent quasiment quotidiennement de ces paquebots, 10 polonais et une grenouille ne sont pas prioritaires pour aller faire du shopping. On nous a gracieusement donné un créneau de 30 minutes pour aller y faire un tour. Ouais, le magasin en Antarctique casse un peu l’image du continent perdu. Le musée? Ils ont reconstitué l’environnement des anciens pêcheurs de baleine. Côté boutique, t’as acheté 2-3 conneries, 200 euros….la vache.
T’as 4 volontaires qui voient passer sans fin du pingouin rouge en caisse. Et le temps est quasi chronométré. Si quelqu’un veut venir faire caissière en Antarctique, c’est 4 mois sur place…
Hop dans le dinghy, direction une colonie de manchots gentoo. En fait, t’as plein de règles pour les approcher. Pour chaque endroit où les bateaux de croisière peuvent faire débarquer les pingouins rouges (oui, wiki Franki, j’ai le droit d’utiliser dans 3 cas le mot pingouin car ils viennent du nord !!) sont régis par des règles : où tu peux marcher, les distances à respecter, comment désinfecter tes pompes afin de pas contaminer les colonies… Et si t’es sur un bateau de plus de 500 personnes, tu ne peux jamais débarquer à terre. On évite d’être sur un site en même temps que ceux des gros bateaux car eux doivent marcher dans un cadre très limité alors que nous, en respectant les zones vraiment interdites, on marche où on veut. Ça pourrait énerver les pingouins rouges.
Quand t’es en voilier, tu dois suivre les mêmes règles mais tu t’arrêtes aussi à des endroits où ces gros bateaux ne vont pas.
Tu descends à terre, 4 gros phoques font la sieste. C’est à peine si ils te jettent un œil. Nous, on est les manchots à capuche fluo…
C’est l’époque de la ponte et des petits donc faut rester à l’écart des nids. Ils font leur nid les uns à côté des autres et si un manchot s’approche trop près du nid d’un autre, il est bon pour un coup de bec. On déconne pas  avec le respect de la propriété foncière chez les manchots. Et si un manchot essaye de chourer un caillou d’un nid d’un autre, ça dégénère. Il y a toujours un des parents sur le nid car certains types de piafs essayent de voler les œufs voir de bouffer les oisillons. Les lieux de ponte de certains oiseaux sont totalement interdits d’accès et en plus, ces plumeaux sur pattes peuvent

 t’attaquer.
Histoire de surveiller l’état des colonies, des caméras solaires filment en continu certaines zones.
Les bestioles ont dû en voir du pimpims depuis leur naissance donc t’es un peu comme un meuble qui bouge. Tu te balades entre les zones de nids, tu laisses la priorité aux manchots qui vaquent à leurs occupations.

T’es en train d’écrire tranquillement cette partie de mail sur le pont du voilier quand tu vois une dizaine de dinghys rempli de pingouins rouges s’approcher. Ils ont du avoir eux aussi leur créneau pour les emplettes made in China et maintenant c’est le créneau pour s’approcher du glacier.

3 janvier – Le gus qui courre sur un voilier une perche à la main. 
Lever à 3h45 pour ton quart… te voilà avec ta perche à repousser les gros glaçons qui semblent attirer par la coque du bateau. Ces enfoirés se sont ligués pour t’empêcher d’avoir un quart tranquille. Un à la proue, l’autre à la poupe en même temps. Et 3 manchots viennent faire coucou. Le capitaine qui roupille que d’un œil te voyant courir dans tous les sens sur le pont a dû se dire que le marin d’eau douce allait réveiller tout le monde à 5h du matin avec ses conneries. Il t’a dit c’était pas la peine de t’agiter. Il y a pas de vent, les glaçons risquent pas d’abîmer la coque… putain… T’es reparti épuisé te coucher après ton quart.
Un point ultra important. La veille du départ d’Ushuaïa, ils ont eu une panne de chauffage qui n’a pas pu être réparé. En principe, il fait entre 10 et 15 degrés dans le bateau et tu te balades en t-shirt. Comme il y a pas un poil de chauffage et pas de soleil, l’humidité imprègne tout l’intérieur du bateau. Il fait moins de 5 degrés continuellement. Le capitaine est pieds nus dans ses crocs. Les polonais connaissent le froid. Toi, t’as continuellement 3 couches de fringues les plus chaud, des énormes pompes et t’arrives pas à te réchauffer. Ton meilleur ami ? Ton bonnet. C’est la partie vraiment la plus difficile pour l’instant.
Nous voilà reparti dans le canal Peltier puis le canal Le maire. Oui, beaucoup de noms sont français car Charcot a été un des premiers à venir traîner ses santiags dans le coin et a donné des noms français aux endroits où il est passé. Tu te la pètes sur les noms mais c’est le cap’tain qui te les file. Y a 5 jours t’en connaissais pas un.
Là, on slalom vraiment entre les icebergs pour rejoindre la baie de Charcot. Le canal est bordé de grandes falaises abruptes couvertes de neige, d’immenses glaciers partout. On comparaison le Pépito Moreno, c’est un échantillon. Ouais, ça a de la gueule !
Nouvel arrêt manchots. Ils ont installé leurs nids à différents spots et parfois assez loin de la mer. Toi, bêtement tu pensais que si t’es un manchot riche, t’as un nid en bord de mer et le pauvre lui se tape 20 minutes de marche en montée pour retrouver bobonne à plumes. Que neni ! Les meilleurs nids sont ceux où il y a le plus de soleil. Ça permet de faire fondre la neige plus rapidement et construire ainsi plus rapidement le nid. Apparemment plus il est construit tôt dans la saison et plus les chances de survie des rejetons sont grandes. Voilà, c’était la minute ‘Nos amis les bêtes’. Le manchot est très curieux. S’il y a une bande qui traîne dans l’eau, elle va suivre le dinghy jusqu’au rivage et attendre de nous voir marcher sur le rivage. Le manchot qui se balade va parfois faire un détour pour se rapprocher. Il s’arrête, te regarde mais jamais de face, puis retourne à ses affaires. C’est super marrant de les voir se dandiner les nageoires écartées, glisser sur la neige. Certains, ils ont du faire une grosse connerie, rapportent fièrement au nid un petit cailloux plat. Ouais, compliqué pour le manchot de ramener un bouquet de fleurs… Comme ils suivent tous le même chemin pour rejoindre les zones de nidification, t’as comme des sortes d’autoroute où il faut éviter de marcher. Vu ton poids, une trace de tes pas dans la neige va leur sembler comme un fossé à traverser.

On est monté jusqu’à un monticule de pierres qui date de l’époque où l’explorateur Charcot est arrivé pour la première fois en Antarctique. La vue sur les différentes baies est superbe même sans le moindre rayon de soleil. Les nuages bas créent une ambiance particulières, faut voir le côté positif du manque de soleil.

Dans une des baies, débarque un bateau de croisière. Il est temps de repartir car dans 2h, la ronde des dinghy avec pingouins rouges va démarrer.
1h de navigation pour rejoindre l’île de Pléneau et sa colonie de pingouins. Ouais, tu vas en voir du pingouin pendant ses 2 semaines… Et si t’aimes pas les environnements minérales et glacés, faut vraiment pas venir ici. Côté couleur, t’as du blanc…du bleu/gris de la mer, du gris des nuages et du marron foncé des montagnes… Tu viens ici avec un pantalon orange, on peut pas te rater, hein Gabriel?

 

 

 

 

 

 

 

 

Le capitaine fait une petite sieste donc on attend 22h pour repartir. 1h de navigation entre d’énormes morceaux de glace, t’as pas trop le temps de profiter du paysage car t’es à l’avant du voilier avec une perche en métal qui pèse une tonne à essayer de repousser les petits glaçons. 23h30 on est dans une crique avec 2 autres voiliers (oui, cette partie de la péninsule est la plus facile d’accès du continent donc y a un peu de monde. Mais quand même loin d’un jour de grève de métro à Paris…). Minuit, tu vas enfin dans ta couchette et dire que demain t’es de corvée de bouffe avec un gars qui cuisine aussi bien que toi… Je le répète, qui a dit que c’était des vacances?

Petites différences culinaires polonaises :
– ils mangent des cacahuètes en dessert avec le café
– ils sont capable de faire une tartine d’humus avec du pâté et en rajoutant une petite couche de mayonnaise
– t’as jamais de bouteille d’eau sur la table
– ils lavent les bananes avant de les ouvrir
Ricardo congelado