Le passage du Drake du 14 au 18 janvier
L’océan est plutôt calme. T’es de cuisine le premier jour. Voilà comment ça se passe : la veille t’étais de quart de 20h à minuit. Le matin levé à 7h pour préparer le petit dej. 9h tu pars te recoucher. 12h, préparation du dej. Une fois tout nettoyé, il est 15h30, tu vas te recoucher…19h, ah il est temps de se lever pour préparer le repas du soir. 21h, ta journée est terminée. Il est temps d’aller…se coucher. Et en plus tu payes pour ça…
Pétole de chez pétole. On se traîne. Tout est au moteur depuis 2 jours.
Le 16 au soir, enfin un peu de vent. Ils sortent les voiles et arrêtent enfin le moteur. Vu qu’on remonte au nord, la nuit réapparaît. Ça tombe bien, t’es de quart de minuit à 4h du matin. L’amiral Ricardo tient la barre dans la nuit noire dans le canal de Drake. Y a quoi comme grade au dessus d’amiral?
Tiens, petite minute linguistique. Savez vous d’où vient le mot ‘amiral’? De l’arabe ’emir al bahr’ à l’orthographe prêt…et qui veut dire le prince de la mer.
On est toujours 2 de quart (un baltringue et un qui maîtrise). Un qui barre et l’autre dans la cabine qui attend son tour.  C’est Chechou qui est dans la cabine.
Ton harnais est attaché au mat pour plus de sécurité. T’es limite grand écart pour te stabiliser. Et t’essayes de suivre ce foutu cap de 290° sur cette boussole mal éclairée. Pour les vrais marins, c’est certainement de la rigolade. Compliqué à tenir ce cap avec ces grosses vagues qui secouent le voilier dans tous les sens et ce vent irrégulier.
On t’avait expliqué que si le cap changeait, il fallait tourner la barre un petit peu et attendre que le bateau réagisse. Ouais ça marche sur temps calme, pas quand ça tabasse. En une seconde tu te retrouves au cap 270 puis 260. T’as beau avoir tourné la barre un peu en sens inverse, rien ne se passe. 250°, Chechou débarque à toute vitesse pour donner des grands coups de barre pour redresser le cap. Si suite au mauvais cap, la voile tourne d’un coup (ouais, il doit y avoir des termes marins mais t’y connais walouh), il peut y avoir beaucoup de casse. Pour rétablir le cap, il a trop tourné la barre et maintenant on est au 330 puis 340. Et recoup de barre en sens inverse. Le tout dans le noir en s’accrochant à la barre pour ne pas tomber. Finalement on est revenu au 290. T’as compris qui fallait passer en mode énergique. Une heure à faire tourner la roue de la fortune et ne pas lâcher la boussole des yeux pour essayer de tenir ce foutu cap. Un éléphant rose en tenue de ballerine serait passé à côté du bateau, tu l’aurais pas vu. 4h du matin, t’as enfin fini ton quart. C’est Mme Chechou qui est sensée être en duo avec Chechou. Personne dans la cabine, elle dort tranquillement. Bah, c’est pas ton problème. Amiral Ricardo? Euh, on va dire plutôt matelot Ricardo. (voir même mousse).
12h plus tard le vent est tombé, on est repassé au moteur.
Tu meurs lentement dans ta couchette à attendre que le temps passe…
Le lendemain le vent s’est levé à nouveau et pas qu’un peu. Du vent, des vagues, la total. Malgré la mer démontée, ils ont décidé de te faire barrer. Madré de dios. T’as pas une mais deux fixations qui rattachent ton un gilet de sécurité au bateau. Le bateau est souvent proche des 45 degrés donc une attache t’empêche de trop glisser. Certains restent assis, t’as essayé 10 secondes mais pas une bonne idée car t’as la soupe du midi qui veut repeindre le bateau. Donc t’es debout à essayer désespérément de tenir le cap qui varie de 30° selon le choc des vagues. Ils sont malades de t’avoir envoyé barrer. Au bout de 15 minutes, tu vois le capitaine et un autre s’équiper. Tu t’es dis, t’es trop mauvais, ils vont te remplacer, alléluia ! Que neni, le capitaine pense que le vent est de plus en plus fort et il veut descendre la voile principale. Tu laisses la barre à un pro et tu vas aider à l’avant le jeune qui n’arrive pas à descendre la foutu voile. Des malades… Une fois la voile descendu, t’as fini ton quart à la barre. Pas dix secondes de répit. En fonction comment tu prends la vague, le bateau réagi différemment.
Et le pire, t’as une capuche imperméable qui n’est pas assez serrée. A chaque fois que t’as un coup de vent plus fort, ça t’enlève la capuche et en même temps tu te prends une vague sur la gueule, un régale !!
Filmé pendant une accalmie…..
Ton premier quart est terminé, t’es à la fois trempé par les vagues et en sueur. 1h de répit dans la cabine où t’as l’impression que les vagues sont de plus en grosses.
Allez, faut y retourner, mama mia… Et les gars, vous avez vu le temps dehors ?  Vous voulez pas envoyer plutôt une pointure? Et il est où le capitaine, hein il est ou ? Il est pas dans la cabine!, il est parti pisser ou quoi ? Putain, il mange tranquillement au mess en bas. Il a oublié que c’est pied tendre qu’est à la barre ?
Mais pourquoi t’es pas sur un bateau de croisière…
Côté paysage ? Benh, peux pas trop décrire, trop concentré a essayé de tenir ce foutu cap mais il doit y avoir de l’eau quelque part car ça mouille et pas qu’un peu.
Ça souffle, ça souffle, t’es monté à plus de 10 nœuds, l’amiral Ricardo est de retour !!
Selon les vrais pieds marins du bord on a du 7 sur l’échelle de Beaufort. Adressez-vous à wiki Franky pour les explications.
1h plus tard, t’es trempé malgré tes vêtements de protection et crevé. 18h, tu vas faire une petite sieste car ton prochain quart est à 4h du matin. Putain, c’est sans fin….
20h, impossible de dormir tellement on est secoué. T’es remonté dans la cabine où étonnement il y a foule. A bâbord au loin, on voit se dessiner une montagne, le fameux cap Horn. Bon, on n’ira pas le titiller…
Beaucoup trop de vent, le capitaine a décidé de descendre la voile arrière. Cette fois uniquement les pros y vont…. Ah c’est dommage..
3h30 le réveil, c’est con tu venais juste de t’endormir après avoir toute la nuit sur ta couchette qui sent le rat mort…
4h du matin, on longe la côte de l’île Nueva. Peu de vague mais beaucoup de vent de face. On est au moteur au ralenti sans voile. Et en fait, c’est aussi difficile de barrer. Car comme t’es face au vent, si tu vires un poil, le vent fait tourner rapidement la proue et comme t’as que le moteur (en tout cas c’est ton impression) pour te donner un peu de puissance, c’est assez galère pour reprendre le bon cap.
8h, t’as terminé ton quart avec du soleil. Cet enfoiré qui réapparaît une fois qu’on a quitté l’Antarctique !
Quelques dauphins viennent quelques instants dans le sillage du bateau. Les albatros font des figures dans les airs, enfin on revient dans une mer plus calme.
Dring dring…un appel des gardes côtes chiliens. On vient de rentrer dans leurs eaux territoriales donc soit on vient montrer patte blanche soit on monte plus au nord côté argentin. Ouais, le chilien est comme le manchot, il fait très attention aux limites de son nid.
Tiens, 9h20, vla la Chechou qui finalement monte sur le pont. Elle aurait dû remplacer Chechou à 8h… Oups, pardon, elle est sur le pont mais elle reste assise tranquillement.  Oula, faut pas déconner, elle a encore 10 minutes pour n’avoir qu’1h30 pile de retard !
Au moment où elle est prête, elle réalise qu’elle a pas mis son gilet de sauvetage…
Ah mais non, elle prend pas la barre, elle va juste s’asseoir à côté de son Chechou.
10h, finalement elle prend la barre….
19 janvier,  la remontée fantastique du canal de Beagle 
On passe la nuit dans une petite crique et le lendemain il ne reste plus qu’à remonter tranquillement le canal de Beagle…en théorie. A l’aller, ça avait été le calme plat.
Et putain, pour le dernier jour t’es de corvée de tambouille, ras le bol. Bon, tu vas arrêter de râler car finalement le plan pourri c’est transformé en plan pépère. Le vent s’est levé, la mer s’est déchaînée. Le bateau plongeait sous les vagues, parfois penché à près de 40°. Faut juste imaginer l’état des cabines où tout n’était pas complètement fermé. Impossible de remonter le canal sans tirer une trentaine de bords pendant près de 12h pour faire 35 miles. Pas un voilier à l’horizon par ce temps pourri à part la bande de polonais en goguette…
Tous ceux qui étaient dehors, équipés au max pour la flotte ont pris très très cher. Faut voir les vagues qui, par moment, leur tombaient dessus. Toi, tranquillement en short dans la cabine, tu leurs proposais du thé pour se réchauffer, des biscuits… Ah ben ouais, t’es de corvée de popote, quelle malchance!
Une des pointures, en sortant de la cabine pour prendre la barre, à fait le signe de croix. Putain, il l’avait jamais fait avant, ça promet…
Et, au joie, la Chechou a du donc faire de la présence sur le point. Étonnement, elle a pas sorti un mot (ça fait du bien…) pendant toute la partie difficile. En fait, à part pour les virements de bord, ça parlait pas trop vu les conditions difficiles. Si le jeune n’avait pas un avion à prendre tôt le lendemain, le cap’tain se serait certainement mis à l’abri pour attendre une amélioration de la météo.
C’est l’otarie qui a skippé la première partie, elle voulait plus lâcher la barre. On l’aurait cru dans une soirée entourée d’orques en petite tenue tellement elle était excitée. Ça du être le grand moment de sa vie !!
Tu vois les lumières d’Ushuaïa mais t’as pas l’impression qu’on s’approche. On est finalement arrivé au port à Ushuaïa vers minuit, soit 12h pour ces 35 foutu miles.
 Certains crevés et d’autres moins…. On déconne, on déconne mais grand respect pour ceux qu’on tapé les 12h dehors !
On arrive enfin au port. Après plusieurs semaines à la lingette, tout le le monde s’imagine sous une douche chaude dans les 10 prochaines minutes. Et non, pas de place sur le quai et trop tard pour s’amarrer à un des voiliers. On a ancré au milieu du port à moins de 100m des douches…
Voilà, c’était quelques jours chez les pingouins, ah merde, les manchots
Ricardo, mi matelot mi amiral mais 100% marin d’eau douce